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Quand nos élèves de section euro espagnol rencontrent l’histoire et les mémoires des dictatures latino-américaines

Par EMILIE TASTEVIN, publié le mercredi 24 avril 2024 16:43 - Mis à jour le mercredi 24 avril 2024 16:43
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A travers le visionnage de deux films, au Festival du film latino-américain de Chambéry et dans le cadre de Lycéens et Apprentis au cinéma, nos élèves ont pris conscience de l’histoire et des mémoires des dictatures argentine et chilienne

Les élèves de 2nde, 1ère et terminale en section européenne espagnol au lycée Philibert Delorme de l’Isle d’Abeau ont eu la chance d’aller au Festival du film latino-américain de Chambéry -dans le magnifique cinéma L’Astrée-, au printemps 2024. La région Auvergne Rhône Alpes a rendu possible le financement de cette sortie enrichissante pour nos élèves.

Le film qui a été choisi par leurs professeures, Mme Tastevin et Mme Puentedura, s’intitule La historia oficial. C’est un film dramatique argentin réalisé par Luis Puenzo et sorti en 1985, soit deux ans à peine après la fin de la dictature argentine (1976-1983).

Présenté dans une version restaurée, après avoir été invisible pendant des années, le film (sorti en France en 2016) frappe aujourd'hui par la lucidité et la maturité du regard sans concession que pose le cinéaste sur son pays et l’attitude de ses compatriotes qui, pour certains, refusent de regarder en face cette période. Optant pour une transition démocratique basée sur l’amnistie des bourreaux, qui reprend les fondements du modèle post-franquiste espagnol, l’Argentine met en place en 1986 la "Loi de Point Final" qui interdit les poursuites contre les crimes commis sous la dictature. De ce fait, la plupart des familles de “desaparecidos” ne peuvent prétendre à des poursuites pénales contre les responsables de la répression sanglante instaurée par le régime pendant le “proceso de reorganización nacional”. Il faudra attendre la levée de l’impunité sous la présidence de Nestor Kirchner en 2003 pour que commencent à être traduits en justice les responsables de la dictature encore vivants.

Écrit dans un contexte d’impunité institutionnalisée, ce film courageux raconte les derniers mois de la dictature argentine à travers le personnage d’Alicia, professeure d’Histoire en lycée, épouse d’un militaire et mère d’une petite fille adoptive. Elle mène une vie bourgeoise tranquille avec son mari et la petite Gaby. Dans sa vie professionnelle comme dans sa vie privée, elle a toujours accepté « la version officielle » jusqu’au jour où le régime s’effondre.

C’est durant cette période, instable pour le pouvoir, qu’Alicia voit les certitudes qui sous-tendent la vision de l’Histoire qu’elle enseigne remises en cause, mais c’est surtout un terrible doute qui la taraude en découvrant le combat des mères de la place de Mai : et si la petite Gaby qu’elle a adoptée avec son mari était l’un de ces bébés de disparus, volés par les membres de la junte ?

C’est la prise de conscience de tout un pays que met en avant le réalisateur argentin, à travers le regard d’Alicia, dans un film bouleversant qui montre de façon efficace à quel point la force d’un déni, soutenu par l’église catholique et tout l’appareil institutionnel, peut aveugler la population face aux crimes de la junte militaire. Les mères de la Plaza de Mayo sont en effet à l’époque les seules à dénoncer les disparitions des opposants.

Ce film apporte des éclairages sur la dictature argentine, ses rouages répressifs, et, plus largement, sur le fonctionnement global d’un régime autoritaire, mais il permet aussi d’aborder les questions mémorielles et la façon dont le processus de transition démocratique argentin s’est construit après la chute de la junte militaire.

Comme son titre l’indique, La Historia oficial pose aussi la question de l’objectivité du récit historique, selon la période ou le régime politique dans lequel celui-ci est produit. La présence de jeunes étudiants dans le film, qui remettent en cause dans le cadre scolaire une certaine vision de l’Histoire et l’idéologie qui la sous-tend, permet de faire réfléchir les élèves et développer leur esprit critique sur ces questions.

On s’aperçoit qu’une femme, bien qu’elle ait une profession amenant à très bien connaître l’histoire de son pays et à avoir de l’esprit critique, ne se rend pas compte de ce qui est arrivé à sa fille (ou ne veut pas le savoir initialement, ou ne veut pas l’admettre). La comptine chantée par sa petite fille Gaby prend alors tout son sens :

« En el país de Nomeacuerdo

doy tres pasitos y me pierdo.
Un pasito para aquí,
no recuerdo si lo di.
Un pasito para allá,
¡Hay que miedo que me da! »

 

Ce film a obtenu l’Oscar du meilleur film étranger et le Golden Globe du Meilleur film en langue étrangère en 1986, ainsi que le Prix d’interprétation féminine de Cannes en 1985 pour Norma Aleandro et le Prix du Jury œcuménique.

Les élèves ont tous apprécié ce film, d’une part pour son contenu historique, qui évoque une dictature qui n’est pas toujours étudiée dans l’enseignement secondaire en France, et d’autre part pour l’histoire plus personnelle de l’héroïne et ses tergiversations. Au final, cette sortie a permis aux élèves de mieux connaître l’histoire d’un pays particulier, l’Argentine, à travers la « petite histoire », celle d’une femme et ses dilemmes moraux face à la vérité qui se fait jour.

 

Ce film fait écho à un autre film traitant de la mémoire d’une dictature, au Chili cette fois. Il s’agit de Nostalgia de la luz, réalisé par le chilien Patricio Guzmán en 2010, que les élèves d’euro ont visionné en décembre dans le cadre de Lycéens et Apprentis au cinéma, un programme proposé par la Région Auvergne Rhône Alpes. Ce film fait le parallèle entre l’observation des astres depuis le désert de l’Atacama et la recherche de disparus par des survivants de la dictature d’Augusto Pinochet (1973-1990) dans ce même désert. Le point commun est la recherche des origines, l’une étant médiatisée et soutenue, la seconde étant d’initiative individuelle et souvent rejetée. Certains survivants prennent la parole également, tel cet homme qui a longtemps été enfermé dans un camp de concentration situé dans ce désert et dont il avait mémorisé soigneusement toutes les dimensions. Ce film a eu le prix du meilleur documentaire de l’Académie européenne en 2010 et a fait partie de la sélection du Festival de Cannes. Il a aussi obtenu le Prix du public au Festival Âge d'or-Cinédécouvertes 2010.

 

Ainsi, à travers l’histoire de deux pays voisins, nos élèves ont pu comprendre pourquoi il était indispensable pour ces réalisateurs de montrer, souvent indirectement, les crimes de ces dictatures, afin de faire surgir une mémoire longtemps occultée, bien loin des récits officiels proposés pendant ces périodes et dont l’histoire est encore difficile à faire émerger actuellement face au pouvoir et à certains pans de la société. En aval de ces films, un travail d’analyse est mené avec les élèves afin d’en percevoir toutes les dimensions.

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